LA VIGNE AU NATUREL
RENCONTRE AVEC ATHÉNAÏS DE BÉRU
PROPOS RECUEILLIS PAR JILL COUSIN, PHOTO LÉON PROST
En observant scrupuleusement son environnement, Athénais de Béru, vigneronne, a redonné vie à 15 hectares de vignes dans lesquels la nature est de nouveau libre.
Il y a dix ans, Athénaïs de Béru lâche son poste dans la finance pour reprendre le Château de Béru, un domaine familial en Bourgogne. Sensible aux enjeux écologiques et convaincue des méfaits de la chimie sur la santé et l'environnement, elle convertit la totalité de son vignoble à la biodynamie où la faune et la flore reprennent peu à peu leurs droits. En cave, elle poursuit ce travail de préservation du vivant et vinifie sans additif, ce qui donne des vins vibrants, gonflés d'une énergie et d'une élégance rares.
Athénaïs, tu as repris il y a un petit peu plus de dix ans des vignes à Béru dans le chablisien qui appartenaient à ta famille. Quelle est l'histoire de ce domaine ?
Ce domaine de 15 hectares nous appartient depuis cinq siècles et ma famille y a toujours exploité des vignes. Cependant, cette tradition d'être vigneron.ne de génération en génération a connu des ruptures. La première, du temps de mes grands-parents lorsque le phylloxéra, un insecte ravageur, a détruit tout le vignoble français. C'est mon père, au début des années 80, qui a replanté tout notre vignoble, puis il a eu de gros soucis de santé et a dû arrêter plus tôt que prévu. Son dernier millésime date de 1993. Avant son décès, il a loué les vignes à un fermier qui vendait tous ses raisins à la coopérative. Le domaine de Béru a, en quelque sorte, disparu une deuxième fois.
Quels sont les liens que tu entretiens avec la Bourgogne ?
J'ai passé ma petite enfance dans le village de Béru, puis très vite, à cause des pépins de santé de mon père, nous avons déménagé à Paris. Mais par chance, comme c'est à deux heures de la capitale, nous y allions très souvent. Le château a toujours été un point de rendez-vous pour la famille. Quand j'étais enfant, c'était le tout début des périodes de replantation des vignes, tous les habitants du village n'étaient pas encore producteurs de vin, il y avait des maraîchers, des éleveurs. C'était la campagne comme on la rêve aujourd'hui en termes de cliché. J'ai toujours beaucoup aimé passer du temps à Béru, même si à l'époque, je n'associais pas du tout le domaine à la viticulture.
Pourquoi ne pas avoir repris directement le domaine familial ?
Mon père, par pudeur, ne nous a jamais forcé.e.s, mon frère et moi, à reprendre le domaine. Il est arrivé dans le vin par passion, ses parents ont essayé de l'en dissuader. Il souhaitait vraiment que l'on suive notre voie. Il nous a donné une culture du vin très tôt et très forte, mais son métier de vigneron, il n'en parlait pas beaucoup. Quand j'étais petite et que des amis venaient dîner au domaine, mon père m'envoyait à la cave avec une lampe pour choisir le vin qui accompagnerait le repas. Je descendais seule et je revenais avec plusieurs propositions. Parfois, j'avais fait le bon choix et parfois non. Alors mon père m'expliquait pourquoi ; il me présentait les cépages, les domaines... Cela m'a laissé beaucoup de souvenirs gustatifs et émotionnels.
Quelle voie as-tu alors choisie ?
J'ai suivi des études de finance, puis j’ai travaillé plusieurs années dans les fusions-acquisitions pour une grande banque. Il s'est avéré que les deux, trois dernières années, j'ai été débauchée par un homme à l'intérieur de cette banque qui s'occupait d'opérations financières dans le secteur du vin. Je lui ai parlé du domaine familial, il a trouvé cela génial. C'est lui qui, à ce moment-là, m'a fait prendre conscience que cet héritage était un véritable bijou. Mais à l'époque, les vignes étaient en location et il faut savoir qu'il est très compliqué, voire impossible, de casser un bail agricole. Ce n'était donc pas encore le bon moment...
Quel a finalement été le déclic qui t'a conduite à reprendre le vignoble ?
Juste avant de commencer à travail1er, j'ai pris une année sabbatique et je suis partie un an en Amérique centrale. Là-bas, j'ai postulé pour un projet de ferme bio. Je me suis retrouvée dans un réseau qui s' apparente aujourd'hui à ce que l'on appelle le Woofing. L'association dans laquelle j'étais bénévole se chargeait de former des agriculteur.rice.s à la diversification agricole et leur enseignait les préceptes de l'agriculture biologique. Avant cela, les paysan.ne.s vendaient toutes leurs récoltes à de grosses boîtes internationales et bombardaient leurs cultures de produits chimiques. J'avais déjà une fibre très campagne, mais mon séjour là-bas a semé une graine dans ma tête. J'y ai appris l'importance de se soucier de que l'on mange et de ce que l'on boit et la manière dont tout cela est produit. Des questions que je ne m'étais jamais posées auparavant. Puis je suis rentrée en France, pour travailler dans une banque, donc. Et un jour, j'ai reçu un coup de fil du fermier qui louait nos vignes : il m'annonçait son départ à la retraite. On a fait une réunion de famille, ma mère ne voulait pas se relancer là-dedans et mon frère, ça n'a jamais vraiment été son truc. Entretemps, je m'étais construit une culture vin assez approfondie. J'avais des copains qui aimaient ça, avec qui je faisais les salons et avec qui je rencontrais les vignerons. J'ai alors décidé de reprendre le domaine.
Comment t'es-tu formée à la viticulture ?
J'ai suivi une formation d'un an à Beaune, au Centre de Formation Viticole, et j'ai enchaîné avec des microstages chez des vignerons que j'aimais bien. Je leur proposais mon aide bénévolement et en échange, ils m'ont appris en quoi consiste un soutirage, une mise en bouteille... La chance que j'ai eue, c'est que je n'ai pas repris les 15 hectares de vigne dès la première année, ce qui m'a permis de prendre mes marques. La première année, j'étais seule au domaine, je faisais juste appel à un ouvrier-tractoriste pour m'aider de temps en temps. Mes débuts en tant que vigneronne ont été très roots. Au chai, il y avait encore un vieux pressoir de mon père qui n'avait pas servi depuis vingt ans et quelques cuves inox. J'ai trouvé des fûts d'occasion, j'ai emprunté des caisses pour pouvoir vendanger à la main et je me suis lancée.
Dès la reprise du vignoble, tu as voulu convertir toutes les terres en bio. Pourquoi ce choix ?
C'était la condition sine qua non à mon installation ! Mon expérience en Amérique centrale m'a vraiment sensibilisée à ce mode d'agriculture et, égoïstement, je ne me voyais pas me pulvériser une tonne de produits chimiques sur la tête. On me pose souvent la question de ma conversion, mais c'est simplement du bon sens. Si tel ou tel produit chimique met ta santé en danger et celle de l'écosystème, pourquoi les utiliser ? Alors dès mon installation, j'ai passé toutes les vignes en bio. Mais cela n'a pas été facile, nous avons un climat difficile, avec beaucoup d'humidité et la vigne est très sensible au mildiou (un champignon parasite, ndlr). C'est pour cela que très vite, j' ai décidé d'aller plus loin encore et de m'intéresser aux préceptes de la biodynamie.
En quoi consiste la biodynamie en viticulture ?
La biodynamie consiste à intégrer la culture dans son environnement. Dans mon cas, c'est s' intéresser à la manière dont la vigne, dans la région, avec son climat, va pouvoir pousser de manière équilibrée. Ça demande d'être observateur.rice. On bascule alors d'un système curatif dans lequel s'inscrit l'agriculture biologique à un système préventif. On réalise en permanence de petits soins simples (tisanes de plantes, huiles essentielles) et peu coûteux sur la vigne. C'est important de le préciser, car en tant qu'agricultrice, je me suis toujours opposée à ce qui n'avait pas de logique paysanne et aux dépenses inutiles. Le bon sens paysan, c'est : « ça ne doit pas coûter trop cher à produire, mais au bout du compte, on doit pouvoir vivre de notre production. » La biodynamie s'inscrit là-dedans, car c'est un mode qui n' est pas coûteux, mais demande un investissement personnel important. Le problème de l'agriculture chimique, c'est qu'avec des traitements à balancer tous les huit à dix jours, on obéit à un calendrier bête et méchant. Il n'y a plus de réflexion et d'observation du milieu. La biodynamie nous permet aussi de travailler sur le système immunitaire de la plante pour qu'elle développe ses propres défenses.
Comment ont été perçues ton installation et ton intégration locale ?
Ça n'a pas été facile ! Je cumulais. D'abord je suis une femme et il est vrai que ça reste un environnement encore majoritairement masculin. J'étais parisienne et aux yeux de mes voisins, avec mes petites bottines à talons et mon jean, j'incarnais un petit peu le cliché de la minette parisienne qui arrive en ayant un avis sur tout. Et mon côté bio et engagé dérangeait. Le chablisien est un peu une zone sinistrée en ce qui concerne l'ouverture environnementale. Je savais que j'avais mes preuves à faire, mais j'acceptais tout à fait ce challenge. Et avec le temps, j'ai prouvé que je pouvais y arriver. Même si bien sûr, j'ai fait beaucoup d'erreurs. La nature, c'est difficile et parfois ingrat : lorsque tu fais une erreur, il faut souvent attendre l'année suivante pour rectifier le tir ou essayer une autre méthode.
As-tu vu le paysage et ton domaine évoluer depuis sa conversion à la biodynamie ?
Après l'arrêt des herbicides, j'ai d abord été envahie par des végétaux coriaces comme les chardons et les amarantes qui mesuraient parfois deux mètres de haut et concurrençaient la vigne qui, elle, était encore chétive. On m'a envoyé je ne sais combien d'inspecteurs de l'Institut national de 1'origine et de la qualité (INAO) qui venaient vérifier que je collais au cahier des charges de l'AOP Chablis pour laquelle il y a une hauteur d'herbe autorisée. Puis aubout de deux ou trois ans, la faune s'est équilibrée, les plantes envahissantes ont été remplacées par une flore autochtone. Des végétaux qui ne sont pas forcément très hauts et s'équilibrent avec la vigne. Au printemps, j' ai toute une parcelle qui est recouverte de calendula, une jolie fleur orange. Pareil pour la faune, je vois revenir les abeilles de mes voisins, les oiseaux... Tout se met en place petit à petit. Et ce sont les dix prochaines années qui seront intéressantes en termes de paysage.
Pour conclure, peux-tu nous présenter en quelques mots la manière dont tu travailles à la cave ?
Au chai, je poursuis ce travail de préservation du vivant et je vais plus loin encore que le cahier des charges biodynamique, car je n'ajoute aucun additif à ma vinification. Je m' autorise seulement l'ajout d' une petite dose de soufre à la mise en bouteille lorsque cela me semble nécessaire. Plus la vigne a son propre système de défense, plus le vin sera autonome !
Château de Béru :
32, Grande Rue, 89 700 Béru
@iloveclosberu